Rapport du secrétaire général
présenté en application de la résolution
1233 (1999) du Conseil de Sécurité relative
à la situation en Guinée-Bissau
I.
INTRODUCTION
1. Le présent rapport est soumis en application
du paragraphe 14 de la résolution 1233 (1999) du Conseil de
sécurité en date du 6 avril 1999, dans laquelle le Conseil
m'a prié de le tenir périodiquement informé et de lui présenter
un rapport avant le 30 juin 1999, puis tous les 90 jours à
partir de cette date, sur l'évolution de la situation en Guinée-Bissau,
les activités du Bureau d'appui des Nations Unies pour la
consolidation de la paix en Guinée-Bissau et l'application
de l'Accord d'Abuja (S/1998/1028, annexe), notamment l'exécution
du mandat de l'ECOMOG.
2. Depuis l'adoption de la résolution 1233
(1999), le Sous-Secrétaire général aux affaires politiques,
Ibrahima Fall, a informé le Conseil de la situation en Guinée-Bissau
le 22 avril et le 12 mai 1999. L'exposé fait par M. Fall,
le 12 mai, était centré principalement sur les événements
concernant l'éviction du pouvoir, le 7 mai, de l'ex-Président
Vieira par les forces de la junte autoproclamée. Le présent
rapport porte sur les faits nouveaux les plus récents en Guinée-Bissau,
et surtout sur le rôle que l'Organisation des Nations Unies
devrait jouer dans le processus de renforcement de la paix
en Guinée-Bissau en tenant compte de l'évolution de la situation
sur le terrain.
II. LA SITUATION AVANT LE 7 MAI
1999
3. Dans mon rapport au Conseil daté du 17
mars 1999 (S/1999/294), j'ai exprimé l'espoir que les parties
à l'Accord d'Abuja traduiraient en mesures concrètes les engagements
qu'elles avaient pris dans l'Accord. J'ai fait observer que
les mesures importantes qu'elles avaient prises jusqu'alors
pour appliquer cet Accord, notamment l'établissement du Gouvernement
d'unité nationale et le déploiement de l'ECOMOG, étaient autant
de pas dans la bonne direction.
4. Encouragée par l'évolution positive de
la situation dans le pays, la communauté internationale a
démontré qu'elle était disposée à appuyer l'ECOMOG en Guinée-Bissau
et les efforts de renforcement de la paix déployés par le
Gouvernement d'unité nationale. À cette fin, lors d'une réunion
organisée par le Secrétariat au Siège le 20 avril, à la demande
du Conseil de sécurité conformément à sa résolution 1233 (1999),
les donateurs ont annoncé des contributions en vue de fournir
une assistance à l'ECOMOG. Ces annonces de contributions ont
été réaffirmées à Genève le 5 mai, à la suite de la table
ronde d'urgence organisée par le PNUD le 4 mai à Genève également,
afin d'aider le Gouvernement de la Guinée-Bissau dans ses
efforts de réconciliation et de reconstruction. Lors de cette
table ronde, des contributions d'un montant d'environ 200
millions de dollars ont été annoncées afin de couvrir les
activités dans les domaines de la consolidation de la paix
et de la démocratie, des élections, de la démobilisation et
de la réinsertion des anciens combattants dans la vie civile,
du déminage et de la réunification des forces armées.
5. Entre-temps, le 30 avril, à la suite de
consultations avec le Conseil de sécurité, j'ai nommé Samuel
Nana-Sinkam (Cameroun) représentant du Secrétaire général
pour la Guinée-Bissau et Chef du Bureau d'appui des Nations
Unies pour la consolidation de la paix en Guinée-Bissau. M.
Nana-Sinkam a participé aux réunions des donateurs à Genève
les 4 et 5 mai et a pris à cette occasion des premiers contacts
avec les responsables de la Guinée-Bissau, notamment le Premier
Ministre Fadul.
III. LES ÉVÉNEMENTS DU 7 MAI ET
LEURS INCIDENCES SUR LE PROCESSUS DE PAIX
6. Les membres du Conseil se souviendront
que le Sous-Secrétaire général, lors de sa séance d'information
du 12 mai, a informé les membres du Conseil de l'évolution
soudaine et inattendue de la situation qui a culminé le 7
mai par la destitution du Président Vieira.
7. À la suite des événements du 7 mai, le
Premier Ministre Fadul a confirmé que des élections législatives
et présidentielles auraient lieu le 28 novembre 1999, comme
l'avait annoncé le Président Vieira avant sa destitution.
Le 14 mai, le Président de l'Assemblée nationale, Malam Bacai
Sanha, a pris ses fonctions comme Président par intérim jusqu'à
la tenue des élections.
8. Afin de traiter de l'évolution de la situation
en Guinée-Bissau, les ministres des affaires étrangères de
la CEDEAO ont tenu une réunion à Lomé les 24 et 25 mai, à
l'issue de laquelle, dans un communiqué final, les ministres
ont notamment : a) condamné le coup d'État du 7 mai en Guinée-Bissau;
et b) décidé qu'en raison des faits nouveaux intervenus sur
le terrain et des difficultés rencontrées pour financer les
opérations, les troupes de l'ECOMOG seraient retirées de la
Guinée-Bissau, malgré la demande du Gouvernement d'unité nationale
concernant leur maintien. Les ministres ont également demandé
aux nouveaux dirigeants de permettre au Président Vieira et
à sa famille de quitter l'ambassade du Portugal, où ils s'étaient
réfugiés, pour se rendre dans tout pays de leur choix.
IV. SITUATION ACTUELLE
9. Les membres du Conseil se souviendront
que, dans ma déclaration faite le 11 mai, j'ai indiqué qu'en
raison des événements du 7 mai, j'avais décidé de réexaminer
les options dont dispose l'Organisation des Nations Unies
en ce qui concerne le processus de paix en Guinée-Bissau.
Par conséquent, une petite mission du Département des affaires
politiques s'est rendue dans le pays du 10 au 12 juin afin
d'évaluer la situation sur le terrain et de définir le rôle
que l'Organisation des Nations Unies devrait jouer en tenant
compte de l'évolution de la situation sur le terrain. Au cours
de leur séjour à Bissau, les membres de la mission ont rencontré
le Président par intérim Sanha, le Premier Ministre Fadul,
le général Mane, des représentants du corps diplomatique,
de la société civile et des partis politiques, ainsi que les
responsables des organismes des Nations Unies opérant en Guinée-Bissau.
La mission a présenté un rapport sur les différents aspects
suivants de la situation actuelle :
A. Aspects politiques
10. À la suite des événements du 7 mai et
du retrait de l'ECOMOG, il est généralement admis que l'Accord
d'Abuja n'est plus applicable.
11. La nomination de l'ex-Président de l'Assemblée
nationale, Malam Bacai Sanha, comme Président par intérim,
a été généralement acceptée par la population. Augusto Cabral
D'Almada l'a remplacé comme Président de l'Assemblée. Le chef
de la junte militaire, le général Mane, et d'autres dirigeants
nationaux ont affirmé publiquement que ces nominations étaient
temporaires, jusqu'à ce qu'un nouveau gouvernement soit élu.
12. Le débat politique est actuellement centré
sur le sort de l'ex-Président Vieira. Bien que beaucoup de
citoyens de la Guinée-Bissau souhaitent que l'ex-Président
soit jugé pour des accusations de corruption et d'autres crimes,
ils ont toutefois accepté la décision du Gouvernement d'autoriser
le Président Vieira à quitter le pays pour des raisons de
santé.
13. Alors que le pays s'efforce de rétablir
l'harmonie interne, il s'est également efforcé d'améliorer
ses relations avec la communauté internationale et, en particulier,
avec les États voisins. Des délégations officielles de la
Guinée-Bissau se sont récemment rendues à l'étranger afin
d'expliquer l'évolution récente de la situation, de souligner
que le pays est déterminé à poursuivre ses efforts pour rétablir
une paix durable et l'ordre constitutionnel, et de demander
un appui à cette fin. À cet égard, le Gouvernement a également
entrepris de rassurer les pays dont les ressortissants et
les biens ont été affectés par les événements du 7 mai à Bissau.
14. Entre-temps, et malgré une pénurie de
ressources, la société civile en Guinée-Bissau continue à
jouer un rôle constructif dans la recherche et la promotion
de la paix, en particulier en organisant des séminaires et
des programmes de sensibilisation en faveur de la paix, de
la démocratie, de la réconciliation nationale et de l'état
de droit.
B. Aspects militaires et relatifs à la
sécurité
15. La délégation du Gouvernement à la réunion
ministérielle de la CEDEAO tenue à Lomé les 24 et 25 mai a
essayé sans succès de persuader les autres États membres de
la CEDEAO de maintenir les forces de l'ECOMOG en Guinée-Bissau
jusqu'à l'organisation de nouvelles élections. À la suite
du retrait de la force d'interposition de l'ECOMOG, certaines
tâches qui avaient été confiées à cette force dans l'Accord
d'Abuja sont maintenant dépassées d'un point de vue opérationnel.
Les forces de la Guinée-Bissau assument désormais la tâche
de maintenir la sécurité dans l'ensemble du pays. Les autorités
sont en train d'élaborer une stratégie officielle et des programmes
pour la collecte et le traitement des armes ainsi que pour
la restructuration et la réorganisation des forces armées.
16. Malgré certains incidents isolés, la
situation en matière de sécurité est en général stable, mais
on continue à exprimer des préoccupations quant au grand nombre
d'armes en circulation dans le pays, en particulier les armes
individuelles.
C. Aspects électoraux
17. Toutes les parties concernées ont réaffirmé
à la mission leur engagement envers la tenue d'élections législatives
et présidentielles comme prévu le 28 novembre 1999. La Commission
nationale électorale, malgré un manque de ressources, intensifie
ses préparatifs techniques en vue des élections. Elle a élaboré
un calendrier des élections et a réaffirmé son engagement
de le respecter. Afin d'aider la Commission, l'ONU a recruté
un conseiller technique principal qui devrait arriver dans
le pays au début du mois de juillet. Entre-temps, un cadre
juridique pour les élections, y compris l'adoption d'une nouvelle
Constitution, fait l'objet d'un débat à l'Assemblée nationale
et devrait bientôt être adopté.
D. Droits de l'homme et aspects humanitaires
18. Selon les groupes de la société civile
qui s'occupent de promouvoir le respect des droits de l'homme
en Guinée-Bissau, la situation dans ce domaine semble s'améliorer.
Les autorités gouvernementales ont indiqué qu'un grand nombre
de soldats et de miliciens qui avaient appuyé l'ex-Président
Vieira ont déjà été libérés. Un autre groupe assez important
a été libéré comme prévu, le 23 juin.
19. D'après le Bureau de la coordination
des affaires humanitaires, la situation humanitaire dans le
pays reste grave, principalement à cause des retards dans
la fourniture de l'assistance, qui s'est accumulée depuis
les événements du 7 mai. Quelque 60 000 déplacés se trouvent
toujours à l'extérieur de la capitale. Si les réfugiés commencent
lentement à regagner leur foyer, leur retour risque d'aggraver
encore les difficultés que les collectivités éprouvent déjà
à faire face aux besoins alimentaires. On ne dispose toujours
pas de ressources suffisantes pour répondre aux besoins humanitaires,
en particulier dans les secteurs de l'agriculture, de la santé,
de la sensibilisation au danger des mines, de l'approvisionnement
en eau, de l'assainissement et de l'éducation.
V. RÔLE DE L'ORGANISATION DES
NATIONS UNIES EN GUINÉE-BISSAU
20. Les membres du Conseil se souviendront
qu'à la suite de consultations avec le Conseil, j'avais décidé
de créer un Bureau d'appui des Nations Unies pour la consolidation
de la paix en Guinée-Bissau, dirigé par mon Représentant dans
ce pays, aux fins d'y contribuer au rétablissement de la paix
et de la stabilité. Le mandat de ce Bureau, tel qu'énoncé
dans le document S/1999/232, était le suivant :
a) Aider à créer un environnement propice
au rétablissement et à la consolidation de la paix, de la
démocratie et de la légalité et à l'organisation d'élections
libres et transparentes;
b) Collaborer avec le Gouvernement d'unité
nationale, la CEDEAO et sa force d'interposition (ECOMOG),
ainsi qu'avec d'autres partenaires nationaux et internationaux
en vue de faciliter la mise en oeuvre de l'Accord d'Abuja;
c) Chercher à obtenir du Gouvernement et
des autres parties qu'ils s'engagent à adopter un programme,
exécuté sur une base volontaire, de rassemblement, de neutralisation
et de destruction d'armes;
d) Offrir un cadre et une direction politiques
pour l'harmonisation et l'intégration des activités du système
des Nations Unies dans le pays, surtout pendant la période
de transition précédant des élections générales et des élections
présidentielles.
21. La mission d'évaluation qu j'ai envoyée
en Guinée-Bissau du 10 au 12 juin a signalé qu'en dépit des
événements du 7 mai et de l'évolution de la situation sur
le terrain, le mandat général du Bureau d'appui des Nations
Unies pour la consolidation de la paix en Guinée-Bissau restait
valable. Certains de ces aspects devraient cependant être
ajustés. En conséquence, comme je l'ai proposé au Conseil
de sécurité dans la lettre que je lui ai adressée le 28 juin
1999, le mandat du Bureau devrait être modifié comme suit
:
a) Aider à créer un environnement propice
au rétablissement, au maintien et à la consolidation de la
paix, de la démocratie et de la légalité et à l'organisation
d'élections libres et transparentes (identique au mandat initial;
seul le mot "maintien" a été ajouté);
b) Apporter un appui actif aux efforts déployés
au niveau national, notamment par la société civile, en vue
de la réconciliation nationale, de la tolérance et de la gestion
pacifique des différends, en particulier au cours de la période
de transition (nouveau);
c) Encourager les initiatives visant à accroître
la confiance et à maintenir des relations amicales entre la
Guinée-Bissau, les pays voisins et ses partenaires internationaux
(nouveau);
d) Chercher à obtenir du Gouvernement et
des autres parties qu'ils s'engagent à adopter un programme,
exécuté sur une base à long terme, de rassemblement, de neutralisation
et de destruction d'armes (mandat initial);
e) Offrir un cadre et une direction politiques
pour l'harmonisation et l'intégration des activités du système
des Nations Unies dans le pays, surtout pendant la période
de transition précédant des élections générales et des élections
présidentielles (mandat initial).
22. Tout au long de la période regrettable
de tension et de conflit qui a caractérisé la situation en
Guinée-Bissau durant l'année écoulée, la communauté internationale
a manifesté son intérêt pour la situation dans le pays et
les préoccupations qu'elle lui inspirait ainsi que son désir
de contribuer aux efforts visant à répondre à la fois aux
besoins humanitaires et aux besoins à long terme pour le rétablissement
de la paix et de la stabilité. C'est dans ce contexte, et
compte tenu de la demande du Gouvernement, que j'ai envoyé
mon Représentant en Guinée-Bissau pour y prendre ses fonctions,
notamment créer le Bureau d'appui des Nations Unies pour la
consolidation de la paix en Guinée-Bissau.
VI. OBSERVATIONS
23. La situation régnant en Guinée-Bissau
après le conflit reste complexe. Les événements du 7 mai ont
affecté et modifié le rythme et la nature du processus de
paix. Ils ont également suscité une certaine déception parmi
ceux qui, dans le pays et à l'étranger, se souvenaient de
l'engagement pris par l'ex-Président Vieira et le général
Mane de ne plus jamais recourir aux armes pour régler leurs
différends. Les événements qui se sont produits ont également
soulevé des inquiétudes et des questions quant à la volonté
du pays de parvenir à la réconciliation nationale et de rétablir
l'ordre. Par dessus tout, les meurtres et les destructions
qui les ont accompagnés ont suscité de l'amertume, en particulier
chez ceux dont les nationaux et les biens ont souffert au
cours de ces événements.
24. Je trouve cependant encourageant que
les autorités de transition se soient engagées à rétablir
une paix véritable et durable fondée sur la réconciliation
nationale, le respect de la légalité et le retour à l'ordre
constitutionnel. L'adoption de mesures concrètes pour traduire
ces engagements dans la pratique encouragerait la communauté
internationale à examiner d'un oeil favorable les demandes
d'appui en faveur des efforts de reconstruction de la Guinée-Bissau.
25. Dans le cadre de la contribution de l'ONU
au rétablissement et à la consolidation de la paix, j'ai l'intention
de créer un fonds d'affectation spéciale pour financer les
activités du Bureau d'appui des Nations Unies pour la consolidation
de la paix en Guinée-Bissau. Si le Conseil de sécurité m'y
autorise, je lancerai en temps voulu un appel aux États Membres
pour qu'ils versent des contributions à ce fonds.
26. Enfin, je voudrais de nouveau féliciter
les troupes de l'ECOMOG pour le dévouement, le courage et
le sens des responsabilités dont elles ont fait preuve dans
l'exécution du mandat dont elles ont été brièvement chargées.
Je tiens également à exprimer ma gratitude aux États Membres
dont l'appui matériel et financier a rendu possible le déploiement,
puis le retrait, de l'ECOMOG.
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