article daté du 17 décembre 2001
Anna Borrel
Bissau est en proie à une agitation inaccoutumée.
Le mystère de la pirogue ensorcelée refait surface. Cette
pirogue, enfouie quelque part dans la ville, serait la cause
de tous les maux du pays. Enquête sur un problème très sérieux.
17/12/01 : " Le président
doit faire quelque chose ", proclame un des féticheurs
pepels venus de Biombo (60 km à l'ouest de Bissau).
Sa délégation s'est déplacée jusqu'à la capitale pour
demander audience au président Kumba Yala. L'affaire
est plus qu'urgente. Il s'agit de retrouver la pirogue
ensorcelée qui, depuis plusieurs siècles, maudit le
pays.
Lundi et mardi dernier, dans
l'émission matinale de radio Bombolon, plus de cent
Guinéens se sont prononcés pour ce projet. Nombre d'entre
eux requièrent également que l'on sacrifie des taureaux
pour apaiser les esprits. Toute la ville en parle et
aux abords du Palais, dans le quartier du Royaume gouverné
par l'ethnie pepel, l'agitation est permanente.
Histoire d'une Guinée mal embarquée
" Depuis l'indépendance,
les gens ont l'impression qu'il y a quelque chose qui
ne tourne pas rond. Le peuple se déchire. Le pain quotidien
est un casse-tête pour les chefs de famille. Et pourtant
le pays regorge de richesses ! Mais en fouillant un
peu, on a fini par comprendre… ", nous explique
Iero Amballo, journaliste. Les Pepels leur ont fourni
la solution. Avant de se faire chasser à l'ouest du
pays par les Portugais, les ancêtres des Pepels auraient
en effet enfoui une pirogue pleine de fétiches maudits
pour nuire aux colons. Tant que celle-ci n'aura pas
été déterrée, le malheur ne cessera de s'abattre sur
la Guinée-Bissau. " Il faut faire des recherches
et des cérémonies ", conclut notre interlocuteur,
sûr de son fait.
Légende ? Rumeur ? Si l'on veut.
Mais il faut quand même se souvenir que Manuel Saturnino,
Premier ministre de l'ancien président pepel, Joao Bernardo
Vieira, avait fait creuser plusieurs trous dans la ville
pour retrouver la maléfique embarcation. L'affaire était
alors prise très au sérieux, au mépris parfois de problèmes
plus graves. Or, depuis que Kumba Yala, de l'ethnie
balante, est au pouvoir, c'est le contraire. Les cérémonies
n'ont plus lieu et les problèmes politiques volent la
vedette aux réunions traditionnelles et religieuses.
Les esprits sont fâchés... On dit même qu'ils auraient
fui à cause du bruit des armes à feu, bruit que l'on
entend effectivement assez souvent depuis 20 ans en
Guinée-Bissau.
Symbolique et politique
"Moi je ne crois pas aux
pirogues : je crois à l'homme, un point c'est tout ",
déclare franchement Aguela Augusto Regallo, propriétaire
de radio Bombolon. Mais, paradoxalement, l'engouement
pour cette histoire de pirogue lui semble une chose
à ne pas négliger. " C'est un élément fédérateur.
Tout le monde, Pepels, Balantes, etc., se sent concerné.
Chercher la pirogue, c'est un peu comme combattre encore
les Portugais. C'est un élément fédérateur, qui peut
nous aider à lutter contre l'ethnicisation. N'oubliez
pas que retrouver cette fameuse pirogue signifie pour
beaucoup de gens conjurer les sorts qui empêchent l'union
des Bissau-Guinéens. "
Peut-être Kumba Yala devrait-il
prendre cette histoire un peu plus à cœur. En attendant,
la délégation de féticheurs venue de Biambo est repartie.
Lorsqu'on leur a dit que l'emploi du temps du président
était trop chargé et qu'il ne pouvait les recevoir dans
la journée, ils ont pris ça comme une provocation. Qu'y
a-t-il de plus urgent que l'union d'un peuple ?
$pagec="pirogue";
include ("int/participation.php"); ?>
|